The dark side of the web
Enseignant écrivant au tableau

 Acheter des Blu-ray ? Plutôt crever la gueule ouverte !

Je l’ai senti dès qu’ils ont débarqué. J’ai eu une sorte de prémonition avec des sueurs froides, un cauchemar à demi-éveillé, où on ne sait plus bien ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Et lorsque je suis sorti de ma torpeur, j’ai réalisé avec effroi que le cauchemar avait eu lieu pour de vrai : les majors nous avaient une nouvelle fois pris pour des vaches à lait !

Ah, qu’est-ce que j’ai été con, à vingt ans ! L’époque où les DVD commençaient à devenir abordables, où on pouvait enfin trouver de bons films au format numérique pour un tarif légèrement inférieur à une passe au bois de Boulogne ! L’époque où, voulant me constituer une petite filmothèque sympathique et par la même occasion montrer à la face du monde mon pouvoir d’achat tout récent, j’achetais quasi-aveuglément et avec une honnêteté sans faille un bon paquet de galettes estampillées Warner ou Universal, renflouant à moi tout seul la moitié des caisses des majors, qui, déjà, vociféraient contre la hausse du piratage et le soi-disant effondrement de leur ventes.

J’ai été con, parce qu’aujourd’hui, les DVD, c’est trop nul, c’est trop has-been, c’est trop pour les losers qui ont même pas le dernier écran OLED de chez Sony. Même les VHS ne sont plus aussi kitsch que les DVD. En effet, les VHS ont gagné un privilège avec les années : elles sont devenues un produit vintage, donc cool. Aujourd’hui donc, exit les DVD. Pour être fun et bigarré, frais et bien formé, pour assurer auprès des filles et des collègues de boulot, pour avoir un sourire bright et une haleine qui sent la menthe fraiche en toutes circonstances, il faut absolument posséder des Blu-ray. Je ne m’étendrai intentionnellement pas sur feu le HD-DVD, triste victime de la guerre fratricide des formats, dont l’extinction prématurée laisse aujourd’hui encore une boule dans la gorge de leurs rares possesseurs, quand ce n’est pas une vive douleur au postérieur.

Alors quand le Blu-ray est sorti sur le marché en fanfare et cotillons, la France entière a décidé d’une voix unique qu’il était temps de s’équiper d’un écran adapté et digne de ce nom, abandonnant aux déchetteries des milliards de tubes cathodiques écologiquement nocifs, provoquant une ruée frénétique de ménages cumulant les crédits à la consommation vers les caisses de la FNAC ou Darty telle une armée d’infectés de Left 4 Dead, et augmentant par la même occasion de façon non négligeable les recettes de l’état sur la redevance audiovisuelle.

Et moi, à ce moment-là, en tant que joueur de Left 4 Dead, consommateur crédule et naïf, et habitué des plates-formes de téléchargement légal de jeux vidéo, je me suis dit : « Whoa, trop fort ! Quand je joue à Left 4 Dead, lorsqu’il y a une mise à jour du jeu, je la télécharge et j’en profite gratuitement ! Je paie la licence sur l’œuvre une seule fois, et ensuite, je peux y jouer à vie et bénéficier des mises à jour et des nouveaux contenus ! Ce qui serait cool, ça serait qu’avec tous les DVD que j’ai, et pour lesquels j’ai déjà payé une licence, je puisse bénéficier d’une mise à jour pour voir mes films en haute définition ! ».

Car si on fait la comparaison, depuis plus de 10 ans, sur les plate-formes de téléchargement légal de jeux vidéo, l’offre s’est portée au niveau du consommateur, avec des tarifs attractifs, un catalogue extrêmement bien fourni, une dématérialisation avantageuse et peu limitée pour l’utilisateur, et des mises à jour gratuites (chez les bons éditeurs). Le meilleur exemple, c’est Steam, qui vient fièrement d’annoncer 1200 jeux disponibles, 30 millions de comptes, 6 millions d’utilisateurs connectés par jour, et surtout une hausse des ventes à 200% par rapport à l’année précédente. Les consommateurs adorent, et ça marche. La preuve, à côté de ça, les concurrents, qui s’acharnent encore à vendre le même contenu à prix d’or sur des supports physiques, à la mode des majors de l’industrie du disque, sont jaloux et blâment ouvertement la dématérialisation qui selon eux, je les cite, « tue le marché ». Foutaises et calomnies.

Et dans la même veine, les majors de l’industrie du disque et du cinéma, fidèles à leur modèle économique périmé, proposent toujours une offre légale hors de prix, des œuvres dématérialisées blindées de DRM, et toujours cette fameuse licence sur l’œuvre ET sur le support. Une aberration à l’aube du XXIème siècle. Et ils se plaignent que les ventes décollent pas.


Pour ceux qui ne seraient pas à l’aise avec les technologies actuelles, ouvrons une parenthèse pour demander à un éminent scientifique, le Professeur Hondanlfion, pour répondre à la question suivante :

C’est quoi, un DRM ?

Enseignant écrivant au tableau

Un DRM, c’est une sorte de verrou appliqué sur une œuvre numérique, qui vous permet d’acheter cette œuvre, mais pas de la lire.

Prof. Hondanlfion, université de Compiègne

Merci Professeur d’avoir éclairé nos lanternes.


Le concept de la « mise à jour de contenu » proposé par les éditeurs de jeux vidéo scrupuleux et expliqué plus haut, c’est bien beau, mais, allez savoir pourquoi, les majors ne l’ont pas adopté. Au lieu de ça, sur les DVD, et sur les Blu-ray, la licence d’utilisation s’applique non seulement sur l’œuvre enregistrée, mais aussi sur le support physique. La licence concédée sur l’œuvre, c’est celle qui dit qu’on a pas le droit de diffuser des images ou des parties sonores du film en question, et qu’on n’a pas non plus le droit de prêter le film à un ami. Et celle sur le support, c’est celle qui dit qui que si on se fait voler le DVD, ou s’il passe malencontreusement sous les roues d’un semi-remorque, on peut toujours se gratter pour en obtenir un double gratuitement, même dématérialisé. Non, on ne rêve pas, ils ont réussi à faire appliquer une licence d’utilisation sur une galette en plastique !

Le but du jeu : permettre aux majors de revendre une énième fois le même catalogue aux mêmes clients. Le cycle se reproduit… Ils l’ont fait pour l’audio : K7, CD, MP3+DRM. Ils l’ont fait pour la vidéo : VHS, DVD, Blu-ray, Blu-ray 3D, et demain Blu-ray 3D 600 Hz avec son 9.2 et odorama. C’est un scandale, Monsieur Elkabbach !

Alors, puisque visiblement, ayant acheté de manière tout à fait légale un gros paquet de DVD, preuves d’achat encore à l’appui dans les tiroirs, je peux toujours me gratter pour obtenir gratuitement une version haute définition, il est hors de question que j’achète un seul Blu-ray pour les 5 années qui viennent. Et puisque j’aime pas être pris pour un con, il est hors de question que j’achète un seul DVD supplémentaire durant la même période. Si être honnête est synonyme de se faire enculer, je préfère arrêter dès maintenant le rapport sexuel non consenti et trouver des solutions moins intrusives pour mon anatomie sensible. Quitte à finir en tipiakage intensif si nécessaire. Messieurs des majors, j’espère que vous êtes contents, vous venez de perdre un client honnête de plus.

[ Crédit photo ]

 5 commentaires pour “Acheter des Blu-ray ? Plutôt crever la gueule ouverte !”

  1.  Flo

    Premièrement c’est toujours aussi bien écrit et poilant.
    Deuxièmement je suis entièrement d’accord avec toi je n’avais jamais pensé à cette comparaison avec les MAJ gratuites des jeux video (notamment chez team) mais c’est très pertinent.

    C’est clair qu’en 15 ans ils peuvent reussir à te vendre star wars en VHS, DVD et Blu ray, un film payé au final au moins 60€ pour avoir le droit de continuer à le voir si on ne veut pas laisser son bon magnetoscope dans le salon et beneficier d’une image « actualisée »

  2.  Mitch

    Comme toujours, c’est super bien écrit et tellement pertinent.
    Et pour ceux qui sont à la traine niveau équipement, on fait quoi ?
    J’ai toujours le magnétoscope dans le salon et la TV principale est une 55cm cathodique… (je suis cool, vintage et j’ai du succès auprès des filles ?!)

  3.  AlphaK

    Une petite news de dernière minute couvrant une partie du sujet :
    Valve avait déjà permis aux joueurs ayant acheté la version PC de certains de leurs jeux d’y jouer également gratuitement sur MAC, lorsque la compatibilité le permettait. Les voila qui réitèrent l’opération avec une manœuvre inédite pour la sortie de Portal 2 : les joueurs qui auront acheté ce jeu sur PS3 pourront également y jouer sur PC et MAC sans surcout. Comme ils considèrent qu’il s’agit du même jeu, il ont décidé d’appliquer la licence sur l’œuvre et pas sur le support. Bel effort pour le coup, on attend la suite (Xbox360?) avec impatience.
    Source: http://arstechnica.com/gaming/news/2011/01/portal-on-playstation-3.ars

  4.  Pablo

    Ouhaou, il est bien ton blog, on en veux encore!

    Je sais pas comment j’me suis retrouvé là, j’ai du taper sur internet « joli mouton qui mange des pâquerettes » et c’est le premier résultat qui est apparu! du coup, je reviendrais… M. El Kabbach (si, si, il l’a dit!)

  5.  AlphaK

    Merci !
    Ça tombe bien, il y a plein (mais alors plein) de billets dans le même style qui sont en gestation, et qui sortiront peu à peu, au fur et à mesure que mon emploi du temps s’allègera. Reviens de temps en temps ou guette le RSS 😉

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